Victor de Chanville

Avocat au Barreau de Marseille

141 avenue du 21 Août 1944 - 13400 Aubagne   |   Tél: 04-84-48-98-60




Chemin rural et prescription acquisitive


Catégorie : Droit immobilier

La notion de chemin rural est définie par le code rural de la manière suivante : « Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune » (article L 161-1).

 

Le même code ajoute que :

- d'une part, « l'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale » (article L 161-2).

- d'autre part, « Tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé » (article L 161-3).

 

Un tel chemin relève du domaine privé de la Commune (et non du domaine public particulièrement protégé), ce qui présente plusieurs incidences pratiques notables.

 

D'abord, le contentieux relève des juridictions judiciaires et non des juridictions administratives. Il implique souvent une discussion sur la qualification de chemin rural, chemin d'exploitation ou servitude de passage.

 

Ensuite, autre incidence non négligeable, les biens du domaine public peuvent être cédés et faire l'objet d'une prescription acquisitive.

 

La prescription acquisitive (ou usucapion) permet d'acquérir la droit de propriété sur un bien immeuble – notamment un chemin – par une possession prolongée (30 ans ou 10 ans en cas de justification d'un titre), même sans disposer de titre de propriété ; c'est un mécanisme classique en droit immobilier, qui peut concerner également certaines servitudes.

 

Le code civil prévoit à cet égard que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire » (article 2261), ces conditions ayant évidemment été bien précisées par la jurisprudence.

 

Cela étant précisé et pour revenir à l'objet du présent billet, le mécanisme de la prescription acquisitive peut jouer sur un chemin rural.

 

Par exemple, cela sera le cas lorsqu'une personne clôt son terrain sur lequel passe un tel chemin et se comporte comme propriétaire dudit chemin en remplissant les conditions précitées prévues par le code civil.

 

Evidemment, la prescription ne peut pas être décrétée aussi facilement, et il convient qu'elle soit reconnue par un tribunal, dont le jugement vaudra titre de propriété.

 

La Cour de cassation a notamment eu l'occasion de juger sur la question que :

 

- « L'assiette d'un chemin rural peut s'acquérir par prescription dès lors que la commune ne démontre ni que le passage litigieux est affecté à un usage public en dehors de la desserte des parcelles riveraines, ni qu'elle entretient effectivement le chemin concerné » (arrêt de la 3e chambre civile du 10 février 2004),

 

- « ayant constaté que la commune ... ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un chemin affecté à la circulation du public et que la société E. justifiait avoir eu, depuis l'année 1970, la possession continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire de l'assiette du chemin revendiqué, la cour d'appel, qui était saisie par la société E. d'une demande en reconnaissance de la propriété de l'assiette du chemin par prescription acquisitive, a pu ... rejeter la demande de la commune tendant à se voir déclarer propriétaire d'un chemin rural situé sur la propriété de la société E. » (arrêt de la 3e chambre civile du 16 décembre 2014),

 

- « Attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la parcelle litigieuse se situait au croisement de deux chemins ruraux et qu'il n'était justifié d'aucune décision expresse de son classement dans le domaine public communal, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les documents produits et ne s'est pas contredite, en a exactement déduit que cette parcelle faisait partie du domaine privé de la commune et pouvait faire l'objet d'une prescription acquisitive ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté que Mme X...disposait d'un juste titre et souverainement retenu qu'elle avait possédé de bonne foi la parcelle litigieuse pendant plus de dix ans de manière continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, sans être tenue d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, qu'elle en était devenue propriétaire par usucapion » (arrêt de la 3e chambre civile du 5 février 2013)

 

Pour terminer, il est notable qu'une Commune peut elle-même acquérir par prescription la propriété d'un chemin qui deviendra alors rural, comme cela a été confirmé récemment par la Cour de cassation :

 

« Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 juin 2016), que, Mme X..., propriétaire de diverses parcelles traversées par un chemin, ayant souhaité se clore la commune de [...] s'y est opposée en soutenant que ce chemin était un chemin rural ; que Mme X... a assignée la commune sur le fondement de la voie de fait résultant de l'appropriation de l'assiette du chemin par elle ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire que le chemin litigieux est un chemin rural et de rejeter ses demandes ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que la bonne foi n'était pas une condition de l'usucapion trentenaire et relevé que la commune, dont la possession était demeurée paisible, s'était comportée pendant plus de trente ans en propriétaire du chemin, la cour d'appel, a pu en déduire que celle-ci l'avait acquis par prescription » (arrêt de la 3e chambre civile du 1er février 2018).

 

Il sera précisé pour terminer qu'à l'inverse un chemin d'exploitation ne peut, en revanche, pas être acquis par usucapion :

« Attendu qu'ayant souverainement retenu que le titre des consorts X... ne permettait pas de localiser le chemin litigieux et, par suite, d'établir leur droit de propriété sur ce chemin et constaté que celui-ci n'était plus affecté à l'usage du public et était devenu une impasse desservant uniquement les parcelles limitrophes appartenant aux consorts X... et à M. Y..., la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de répondre à un moyen tiré de la prescription acquisitive que ses constatations rendaient inopérant, en a exactement déduit que ce chemin était un chemin d'exploitation qui ne pouvait être supprimé que du consentement de tous les propriétaires riverains » (arrêt de la 3e chambre civile du 2 décembre 2014, n° 13-24707).

 

Ces notions trouvent une place importante dans les zones rurales pour l'accès aux propriétés et, par conséquent, en matière d'urbanisme puisque la délivrance d'un permis de construire est subordonnée par le plan local d'urbanisme à l'existence d'un accès suffisant, d'où un contentieux assez abondant.

 

Victor de CHANVILLE

 

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