Victor de Chanville

Avocat au Barreau de Marseille

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L'obligation de jouissance paisible du locataire


Catégorie : Contentieux locatif

Chacune des parties au contrat de bail ou de location s'oblige envers l'autre, au regard des clauses du contrat comme des lois en vigueur, à respecter certaines obligations dont la méconnaissance peut être sanctionnée de diverses manières : dommages et intérêts, injonction de faire, résiliation du bail.

La résiliation concerne plutôt le locataire, l'article 1729 du code civil prévoyant que « si le preneur n'use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail ».

Ainsi, lorsque le locataire n'exécute pas correctement ses obligations ou commet des fautes, il est possible pour le bailleur d'obtenir la résiliation du bail (mais pas par le jeu d'une clause résolutoire au jeu automatique comme en matière de défaut de paiement néanmoins, la faute devant être démontrée au Magistrat, le Juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité étant ici compétent).

S'agissant des obligations du locataire d'un local à usage d'habitation, à côté des obligations classiques telles que le paiement des loyers et des charges, la souscription d'une assurance pour le logement, l'entretien du logement ou encore la réparation des dégradations qu'il pourrait causer, celui-ci doit en application de l'article 7 b/ de la loi du 6 juillet 1989 « user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location ».

L'article 1728 du code civil prévoit en outre qu'il doit « user de la chose louée raisonnablement ».


Dans ce contexte, divers comportements seront sanctionnés : atteinte à la paix de l'immeuble, nuisances sonores causées aux autres occupants, injures et violences, hébergement de nombreux animaux causant des nuisances, etc.

Mais le locataire est également responsable des troubles causés par les personnes qu'il héberge, sur le fondement de l'article 1735 du code civil, même s'il ne contrôle pas effectivement ces personnes.

Sont ainsi concernés les agissements des enfants du locataire, qu'ils soient majeurs ou mineurs : les parents doivent répondre des troubles qu'ils causent, que ce soient des nuisances sonores ou des comportements plus graves de type agressivité ou délinquance.

Le manquement doit bien entendu être assez grave pour justifier la résiliation du bail, la réitération d'agissements fautifs pouvant permettre de remplir cette condition.

Par exemple, peuvent être sanctionnés les faits, établis par des plaintes et des témoignages circonstanciés que les gardiennes de l'immeuble dans lequel est situé l'appartement loué avaient été, à plusieurs reprises, violemment prises à partie, dans la loge ou dans les parties communes de l'immeuble, par la locataire et son fils, lequel avait également agressé un voisin : ces manquements graves et répétés à l'obligation de jouissance paisible des lieux justifiaient la résiliation du bail aux torts exclusifs de la locataire (voir en ce sens une décision de la cour de cassation du 5 mars 2013, n° 12-12.177).

Les manquements à l'obligation de jouissance paisible peuvent consister en des intempérance, injures, agressions verbales, tapages nocturnes et diurnes, cris, mais il convient d'établir que ces comportements n'ont pas cessé ; néanmoins, si les troubles reprochés, bien qu'établis par un constat d'huissier, ont cessé depuis près de deux ans au moment de la procédure sans qu'aucune plainte écrite récente ne figure au dossier du bailleur, il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation du bail  (voir en ce sens une décision de la Cour d'appel de Lyon, du 26 octobre 2004, n° 2003/03072 ).


Par ailleurs, il est indispensable de bien pouvoir établir un lien entre ces comportements et les obligations du locataire, la jurisprudence prenant généralement en considération un critère géographique : les manquements doivent avoir lieu à l'intérieur de l'immeuble dans lequel est situé le logement ou à proximité immédiate.

La cour de cassation a eu l'occasion de se prononcer sur la question et de rappeler ce principe à de multiples reprises.

A titre d'illustration, par un arrêt du 14/10/2009 (n° 08-16955), elle s'est prononcée sur un litige dans lequel une société d'habitations à loyer modéré a assigné les locataires en résiliation du bail d'habitation pour manquement à l'obligation d'usage paisible des lieux loués, au motif classique que le preneur est tenu d'user de la chose louée en bon père de famille et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail.

En l'espèce, la cour de cassation devait se prononcer sur les agissements délictueux du fils des locataires dans un immeuble distinct de celui dans lequel résidaient les locataires mais au sein du même ensemble immobilier, et consistant à avoir entravé, en réunion, l'accès des personnes dans les parties communes, et déterminer si lesdits agissements ne constituaient pas des manquements à l'obligation de jouir paisiblement des lieux loués.

La cour s'est prononcée de la manière suivante :
« attendu qu'ayant relevé que les faits, ayant entraîné la condamnation avec d'autres prévenus, du fils des locataires à une peine correctionnelle, avaient été commis dans le hall d'un immeuble appartenant au même ensemble immobilier que celui où se situaient les lieux loués, mais distant de plus d'un kilomètre, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'absence de lien entre les troubles constatés et le manquement imputé aux preneurs à leur obligation d'user paisiblement de la chose louée et de ses accessoires, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».

Autrement dit, les agissements en question ont été commis trop loin du logement pris à bail pour constituer un défaut de jouissance paisible pouvant être reproché aux locataires et susceptible d'entraîner leur expulsion.


Il existe néanmoins des exceptions, comme cela a été jugé par la cour de cassation par une décision plus récente du 17 décembre 2020 (n° 18-24.823).

Dans cette affaire, l'OPAC du Rhône avait donné à bail à une dame un appartement situé à Bron.

L'enfant mineur de celle-ci, vivant à son domicile, a exercé des violences à l'égard des agents du bailleur. A la suite de ces faits ayant donné lieu à une condamnation pénale, la locataire a été relogée avec son fils dans un appartement situé à Caluire-et-Cuire.
Trois ans plus tard le fils devenu majeur a commis, à Bron, de nouvelles violences pénalement sanctionnées à l'encontre des employés du bailleur.
L'OPAC du Rhône a alors assigné la locataire en résiliation du bail pour manquement à l'usage paisible des lieux.

Dans cette procédure, la locataire soutenait « que le juge n'a le pouvoir de prononcer la résiliation d'un contrat que s'il y a inexécution totale ou partielle d'une des obligations que ce contrat stipule ; que la résiliation d'un bail d'habitation pour manquement à l'obligation d'usage paisible des lieux loués ne peut ainsi être prononcée que si est établie l'existence d'un lien entre les troubles constatés et un manquement à l'obligation, pour le preneur, d'user paisiblement de la chose louée et de ses accessoires ; qu'en retenant, pour établir que Mme T... aurait contrevenu à son obligation d'user des lieux qu'elle a pris à bail paisiblement et en conformité avec leur destination contractuelle, les actes de violence que son fils a perpétrés, le 19 novembre 2014, en dehors de ces lieux donnés à bail ou de leurs accessoires, la cour d'appel, qui ne justifie pas que les actes de violence dont elle fait état auraient causé un trouble quelconque dans les lieux donnés à bail ainsi que dans l'immeuble et même dans la commune où ils se trouvent, a violé les articles 1184 ancien et 1240 actuel du code civil, ensemble les articles 1729 du même code et 7 b) de la loi du 6 juillet 1989. »

Cette argumentation n'a cependant pas été retenue par la cour de cassation, laquelle a considéré que :

« La cour d'appel a retenu à bon droit que les violences commises par le fils de Mme T... à l'encontre des employés du bailleur et réitérées après une première condamnation pénale constituaient des manquements à l'obligation d'usage paisible des lieux incombant au preneur et aux personnes vivant sous son toit et que le lieu de commission des violences importait peu dès lors que les victimes étaient des agents du bailleur »,

et « en a souverainement déduit que la gravité des troubles ainsi constatés justifiait la résiliation du bail ».


Une fois prononcée en justice, la résiliation du bail conduira, à défaut de départ spontané du locataire après signification du jugement la prononçant, à son expulsion avec le concours de la force publique.

Cette solution est compréhensible dès lors qu'il n'est pas acceptable qu'un locataire ou sa famille puisse exercer des violences à l'encontre du bailleur, mais pourrait se révéler difficile pour certaines familles qui seraient sanctionnées du fait du comportement d'un de leurs membres pénalisant l'ensemble du foyer, avec toutes les conséquences potentiellement graves d'une expulsion.

Il est notable toutefois que dans l'affaire évoquée ci-avant l'enfant de la locataire avait commis des actes de violences à deux reprises, à chaque fois sanctionnés pénalement, ce qui implique une gravité certaine, d'autant plus que le bailleur avait à la suite des premiers incidents relogé la famille dans une ville distincte pour éviter toute difficulté, ce qui n'a pas été suffisant...

Quoi qu'il en soit, même si en l'occurrence la situation est un peu particulière car elle concerne un logement social, ces difficultés nous rappellent que le bailleur a tout intérêt à choisir ses locataires avec prudence et à réagir fermement en cas d'incidents afin que la situation ne dégénère pas, même si bien entendu cela devient de plus en plus compliqué en raison de la protection du locataire par la loi.

L'intervention d'un avocat peut dans ce cadre s'avérer utile dès les premiers incidents afin de bien expliquer au locataire quelles sont ses obligations et leurs sanctions et de faire preuve de fermeté dès les premiers incidents.


Victor de Chanville
Avocat à Aubagne

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