Victor de Chanville

Avocat au Barreau de Marseille

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Responsabilité décennale et erreur d'implantation du bâtiment


Catégorie : Droit immobilier

 

Bien que la Cour de cassation ne se soit pas prononcée récemment sur la question, il me paraît intéressant de revenir sur l'articulation entre les règles d'urbanisme gouvernant l'implantation des constructions et la responsabilité décennale du fait de la méconnaissance, par le constructeur notamment, des règles en cause.

 

 

 

Les règles d'urbanisme (code, documents de planification, etc) trouvent application en règle générale au niveau administratif, mais aussi régulièrement en matières pénale et civile.

 

 

 

L'aspect civil de l'urbanisme relève souvent des actions en démolition d'un bâtiment méconnaissant la règle d'urbanisme et causant un préjudice au demandeur, dans la plupart des cas un voisin.

 

 

 

Mais la règle d'urbanisme peut présenter une incidence en matière de droit immobilier et de la construction, notamment en ce qui concerne la responsabilité décennale.

 

 

 

Il sera rappelé qu'en droit commun la responsabilité décennale est prévue à l'article 1792 du code civil, aux termes duquel :

 

« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

 

Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère »,

 

 

l'article 2270 du même code indiquant que « toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article ».

 

 

 

En matière de vente d'immeuble à construire (notamment vente en l'état futur d'achèvement – VEFA), l'article 1646-1 du code civil dispose que :

 

« Le vendeur d'un immeuble à construire est tenu, à compter de la réception des travaux, des obligations dont les architectes, entrepreneurs et autres personnes liées au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage sont eux-mêmes tenus en application des articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 du présent code.

 

Ces garanties bénéficient aux propriétaires successifs de l'immeuble.

 

Il n'y aura pas lieu à résolution de la vente ou à diminution du prix si le vendeur s'oblige à réparer les dommages définis aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du présent code et à assumer la garantie prévue à l'article 1792-3 » : autrement dit, le vendeur d'immeuble à construire est également tenu de la garantie décennale.

 

 

 

Concrètement, tout dommage survenu dans le délai de 10 ans à compter de la réception des travaux permettra, en cas d'échec d'une tentative de règlement amiable, d'obtenir en justice la réparation de son préjudice (dommages et intérêts et/ou fin des désordres).

 

 

 

A ce stade, le rapport entre garantie décennale et droit de l'urbanisme ne paraît pas évident.

 

Mais il faut compter sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'implantation d'un bâtiment en méconnaissance des règles et servitudes d'urbanisme constitue un dommage de nature décennal susceptible de permettre le jeu de la garantie correspondante.

 

 

 

La Cour estime ainsi régulièrement que la condition d'impropriété de l'ouvrage à sa destination est remplie dans le cas d'une erreur d'implantation du bâtiment entraînant un défaut de conformité au permis de construire antérieurement délivré et induisant par voie de conséquence la démolition du bâtiment en vue de sa reconstruction dans le respect des règles applicables.

 

 

 

En ce sens, il a notamment été rendu les solutions suivantes.

 

 

 

* Dans une espèce où la délivrance du certificat de conformité a été refusée au motif d'une non-conformité de la cote de seuil de l'habitation au permis de construire, le maître d’œuvre a été assigné en indemnisation ;

 

la Cour de cassation, après avoir relevé que la mission de maîtrise d’œuvre comprenait l'établissement de tous les plans d'exécution et notes de calcul relatifs aux travaux confiés et l'exécution de ces travaux dans les règles de l'art et suivant les normes en vigueur,

 

a jugé que la Cour d'appel a pu a bon droit « retenir que la société X devait prendre connaissance de l'arrêté d'autorisation de lotir, du règlement du lotissement qui l'accompagnait, et vérifier la cote de seuil requise, par ces documents visés au permis de construire, que le risque d'inondation constituant le motif du refus de délivrance du certificat de conformité existait et persistait, que l'impossibilité non régularisable en l'état d'obtenir un certificat de conformité qui laissait persister les contraintes de niveau prescrites par le règlement du lotissement rendait nécessaire la démolition du bâtiment, ce qui constituait un désordre de nature à le rendre impropre à sa destination, en a justement déduit que la société Travaux aquitains avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1792 du code civil » (arrêt du 7 octobre 2014).

 

 

 

* En l'état du refus de la Commune de délivrer le certificat de conformité et de l'établissement d'un procès-verbal d'infractions, motivés par la mauvaise implantation de la construction et sa surélévation, l'acquéreur, alléguant la nécessité de démolir et de reconstruire la maison, a assigné le constructeur en réparation de ses préjudices ;

 

après avoir déclaré le constructeur responsable du désordre relatif à l'erreur d'implantation sur le fondement de l'article 1792 du code civil, la Cour d'appel l'a condamné à payer à l'acquéreur des sommes au titre du coût de la démolition et de la reconstruction de l'ouvrage,

 

encore à bon droit selon la Cour de cassation qui a considéré que : « ayant souverainement retenu que l'erreur d'implantation ne pouvait pas être régularisée et aboutissait à la démolition de l'ouvrage, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu en déduire, sans modifier l'objet du litige, que le désordre était de nature décennale » (arrêt du 12 juin 2013).

 

 

 

* Toujours dans le cadre d'une mission de maîtrise d’œuvre en vue de la construction d'une maison d'habitation, les acquéreurs ont saisi la juridiction civile d'une demande de dédommagement à l'encontre du maître d’œuvre et de son assureur en raison d'une erreur d'implantation de l'immeuble résultant d'un défaut de conformité aux règles d'urbanisme impliquant sa démolition et sa reconstruction ;

 

pour débouter les demandeurs de leur action en garantie, la Cour d'appel a retenu que, dès lors que la demande des maîtres de l'ouvrage ne tend qu'à financer la démolition de la villa et sa reconstruction en conformité avec les règles de l'urbanisme, elle n'entre pas dans le champ d'application de la garantie décennale prévue à l'article 1792 du Code civil ;

 

cette solution a toutefois été censurée par la Cour de cassation de la manière suivante : « en statuant ainsi, alors que l'erreur d'implantation de la villa résultant du non-respect des règles d'urbanisme et aboutissant à sa démolition constituait un désordre, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ce désordre n'était pas de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, a violé le texte susvisé » (arrêt du 15 décembre 2004).

 

 

 

* Une solution similaire avait été rendue quelques mois auparavant dans un contexte proche et avait conduit à l'annulation d'un arrêt de Cour d'appel au motif suivant : « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le non-respect des règles d'urbanisme affectant la construction et aboutissant à sa démolition n'était pas de nature à rendre l'immeuble impropre à sa destination, et s'il n'en était pas de même des désordres constatés, rendant, selon l'expert, impossibles de simples reprises ponctuelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » (arrêt du 26 mai 2004).

 

 

 

En revanche, la responsabilité décennale n'est pas toujours retenue comme l'illustrent les cas décrits ci-après.

 

 

 

* Après commencement des travaux, des non conformités contractuelles ont été constatées, notamment une erreur d'implantation horizontale et altimétrique, ce qui a conduit l'acquéreur à la signature d'un accord avec l'architecte et l'entrepreneur, destiné à remédier à ces erreurs et à aboutir au respect du plan d'occupation des sols.

 

Mais la construction a ensuite dû être abandonnée en raison du placement de la société entrepreneur en liquidation judiciaire, les maîtres de l'ouvrage ayant, après expertise, assigné l'architecte et son assureur en réparation.

 

La Cour de cassation a estimé que les désordres n'entraient pas dans le champ d'application de la garantie décennale dès lors que « les défauts consistaient en des non conformités contractuelles, telles les erreurs d'implantation horizontale et en altimétrie, que si certaines d'entre elles constituaient également des manquements aux régles de l'art, il ne ressortait cependant pas du rapport d'expertise que ces malfaçons affectaient la solidité de l'immeuble ou le rendaient impropre à sa destination et que la démolition de l'ouvrage était uniquement destinée à le reconstruire conformément aux régles d'urbanisme » (arrêt de la 3ème chambre civile du 14 mars 2001).

 

Comme souvent la distinction entre défaut de conformité et désordre décennal est primordiale et conditionne le succès ou plutôt l'échec de l'action en justice.

 

 

 

* Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que :

 

« ayant relevé que la maison des époux X..., maîtres de l'ouvrage, avait été implantée, conformément aux dispositions contractuelles liant les parties, selon un plan de piquetage que les maîtres de l'ouvrage avaient, sous leur entière responsabilité, fait établir par un géomètre-expert et remis au constructeur, la société Y,

 

que l'implantation proposée par le constructeur, qui respectait les distances réglementaires, était conforme aux mentions de ce plan, sans possibilité, selon l'expert judiciaire, de vérification immédiate,

 

que le certificat de conformité avait été délivré et que l'erreur d'implantation n'avait été découverte qu'après les travaux et la réalisation d'un bornage,

 

la cour d'appel, devant laquelle les époux X..., s'ils avaient fait mention de l'article 1792 du code civil, s'étaient borné à soutenir qu'une mauvaise implantation de la maison, non conforme aux prescriptions d'urbanisme, constituait une faute susceptible d'engager la responsabilité de la société Y, chargée d'une mission globale, a légalement justifié sa décision en retenant que la preuve d'une faute de la société Y dans l'exécution de sa mission n'était pas rapportée » (arrêt de la 3ème chambre civile du 24 janvier 2012).

 

 

 

 

 

Lorsque la garantie décennale est susceptible de jouer, et comme cela est usuellement le cas en matière de droit immobilier ou de droit de la construction, il est nécessaire, avant de pouvoir obtenir réparation, de faire réaliser une expertise judiciaire.

 

 

 

Concrètement, il convient d'abord de saisir le Juge des référés du Tribunal de grande instance (procédure d'urgence) d'une demande de désignation d'un expert et, une fois l'expert désigné, sa mission effectuée et son rapport rendu, de saisir le Tribunal de grande instance statuant au fond (procédure normale) au fond pour obtenir réparation.

 

 

 

Le rôle de l'avocat est important à tous les stades de la procédure.

 

 

 

Au niveau de l'expertise, l'avocat doit définir très précisément la mission de l'expert en regard des désordres subis par la construction et des demandes de réparation qui seront ultérieurement présentées devant le Tribunal ;

 

il doit ensuite orienter du mieux possible les conclusions de l'expert notamment en présentant ses observations lors des « accédits » (visites) sur le terrain et lorsque celui-ci fait connaître aux parties son pré-rapport : si les conclusions ne sont pas satisfaisantes, l'avocat essaiera de convaincre l'expert, à travers un argumentaire juridique et technique, que les conclusions de son rapport ne sont pas adaptées et doivent être modifiées.

 

 

 

Au niveau de la procédure au fond, la représentation par un avocat, au demeurant obligatoire, est indispensable tant la matière est technique et tant il est parfois compliqué de qualifier juridiquement les désordres subis par la construction (désordre décennal ou non conformité, notion d'élément d'équipement, etc).

 

 

 

Mieux vaut toutefois être vigilant lors des opérations de construction lorsque cela est possible afin d'éviter un contentieux.

 

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